Referendum : et si on revenait au point de départ ? (12)

où notre conducteur, après sa sortie de route, tente de boucler la boucle
dimanche 24 avril 2005.
 

Quelle dégelée. Mais quelle dégelée !

Il parait que j’aurais fumé la moquette. Ou même autre chose.

J’aurais "mis en scène ce débat sans forcément me l’avouer à moi-même".

A moins que je ne me sois livré à une provoc facile, pour "vérifier que j’étais toujours lu".

A moins encore que je n’aie "le trouillomètre à zéro".

Bref, on m’accuse de faire mon malin.

Quelle dégelée, oui, m’a value la onzième étape de ce voyage, dans laquelle je m’avouais porté vers le oui par l’hostilité de Benoit XVI au "relativisme moral" de la constitution.

De tous les reproches qui m’ont été adressés, j’en accepte un (de taille). Oui, j’ai sorti de mon chapeau un épouvantail, comme les autres ouistes (ou comme les noniens, d’ailleurs). C’est vrai. Je m’étais promis, dans la première étape de ce voyage, de ne pas considérer les épouvantails, ni d’un côté ni de l’autre de la route. Ni les épouvantails des ouistes (Le Pen, Villiers, etc). Ni les épouvantails des noniens (Seillière, Bolkestein, etc). Et voilà qu’un épouvantail mitré imprévu, qui ne figurait pas sur les cartes routières, me fait sursauter au volant.

Heureusement, il y a sur ce Blog de nombreuses rembardes. Merci à toutes les rembardes.

Une rembarde me signale que les évêques de France ont pris position pour la Constitution. C’est vrai. Merci de le rappeler.

Une autre me dit : "dans cinquante ans, M. Seize ne sera plus là. La constitution, si". C’est encore vrai. Mais à l’inverse, il est probable que l’Institution qui a élu M. Seize, elle, survivra à la constitution.

Donc, Messieurs les gendarmes, je reconnais ma sortie de route. Et je voudrais l’expliquer.

Disons que j’ai eu un étourdissement. Oui, il me parait toujours important de conforter l’Europe contre tous les intégrismes. Est-ce que cela déterminera mon vote à 100% ?

Non, bien entendu.

Mais si j’ai eu cet étourdissement, c’est peut-être parce que j’étais un peu découragé. Par la masse. Plus je progresse, plus ma démarche de départ m’apparait intenable. Je pensais pouvoir édifier une colonne oui, une colonne non, et opter finalement pour la colonne la plus haute.

Mais les colonnes montent, montent, montent sans cesse depuis un mois. Elles vont finir par arriver là-haut, chez les copains de Benoit. Et là, l’affaire aura défitivement dépassé mes compétences.

(Je m’empresse de préciser que je n’ai pas eu accès aux travaux ultra-confidentiels de la liste de diffusion interne du lycée de Judith. J’en ignorais même l’existence. C’est une petite cachottière, cette Judith. Je le regrette. Puisque ces travaux ont apparemment réussi à la convaincre, peut-être que celà aurait aussi marché avec moi. Bon. Je vais tenter la veste en tergal, le collier de barbe, et de me glisser dans le lycée de Judith. Je vous tiendrai au courant.)

En attendant, pour rester cohérent avec le projet de départ, tentons de faire une petite analyse des colonnes.

A mes yeux, le combat se déroule sur trois fronts principaux.

Le front du "Fais nous rêver, l’Europe". Les noniens : cette constitution manque de souffle ! Elle n’est pas à la hauteur de l’enjeu ! On n’y retrouve pas la puissance de l’Hymne à la joie ! Melenchon, voilà bien l’incarnation de l’esprit "hugolien" d’aujourd’hui ! Quand on la compare avec la constitution Badinter, par exemple, il n’y a pas photo. (Quel farceur, ce Badinter, soit dit en passant. Vous l’avez vu, l’autre soir à la télé, faisant la fine bouche devant la constitution Giscard, et glissant que dans son coin, lui, il en avait rédigé une, constitution. Ah si on avait fait appel à lui !

Les ouistes : la constitution in pectore Badinter n’a qu’un défaut : elle n’est pas soumise au vote. Donc il faut faire avec ce que l’on a. Si l’on attend un texte qui claque au vent comme un drapeau d’azur, et résonne dans les blés comme un hymne de Beethoven, on peut voter non. Si l’on se dit qu’après tout, la constitution ne sera pas son livre de chevet dans les cinquante prochaines années, on passe par-dessus, et on vote oui.

Et moi ? En l’état actuel des choses, je laisse ce débat ouvert. Du besoin de lyrisme et du " ce n’est qu’une constitution, après tout), je ne sais encore ce qui l’emportera en moi.

Deuxième front : le déficit démocratique. L’Exécutif écraserait le Législatif et le Judiciaire. C’était l’argument d’Etienne Chouard. Mais il me semble qu’Etienne, depuis, est quelque peu revenu sur ses craintes. Déjà, il avait amorcé ce retrait sur notre Blog, concernant les rapports entre l’exécutif et le judiciaire. Il le confirme sur son propre site ces derniers jours. Aux dernières nouvelles, il aurait maintenant décelé des risques de "force excessive" du Parlement. A suivre.

Personnellement, du débat très fourni qui s’est déroulé ici sur ce point, je sors avec une impression mitigée sur les institutions européennes. L’impression d’une usine à gaz institutionnelle qui s’est construite au fil des décennies en superposant des trucs sur des machins, et dans laquelle la constitution tente, timidement, de remettre un semblant d’ordre. Mais je n’ai pas le sentiment que la dictature soit à nos portes dans cette constitution. Donc sur ce front-là, j’incline plutôt vers le oui.

Troisième front (et je m’aperçois, à la décantation, que c’est le plus important à mes yeux) : la partialité idéologico-économique. Par ses références obsessionnelles, dans la troisième partie, à la "concurrence libre et non faussée", la constitution prendrait parti pour le libéralisme économique. Et ce parti-pris, martèlent les noniens, n’a rien à faire dans une constitution. Certes, tous les pays de l’Union Européenne pratiquent l’économie de marché. Certes, tous les articles de cette partie figuraient déjà dans des traités antérieurs, qui reprendraient immédiatement vigueur en cas de victoire du non, mais celà ne justifie pas que cet hymne à la "concurrence libre et non faussée" soit gravé dans le marbre. Et puis dans cinquante ans, rien ne dit que les peuples d’Europe n’auront pas envie d’en finir avec la libre concurrence, et d’en revenir à un système de monopoles.

Sur ce point, je dois dire que le débat du Blog ne m’a pas totalement satisfait. La question a été abordée dès la deuxième étape de ce voyage, mais il me semble qu’elle est restée en suspens. Plus précisément, je n’ai pas l’impression d’avoir épuisé la question du sort des principaux services publics français, si la constitution devait entrer en vigueur. J’ai retenu qu’elle séparait les "missions" de service public, des entreprises qui les exercent. Ces entreprises ont droit à toutes les aides de l’état, uniquement pour ce qui concerne leurs missions de service public proprement dites. Pas pour leurs autres activités. Burt a donné ici l’exemple, parfaitement éclairant, du Crédit Mutuel (entreprise privée) qui gère le livret bleu (dispositif d’épargne populaire, donc service public). Pour dire que la constitution, comme les traités qu’elle reprend, donnait le droit à l’Etat d’aider autant qu’il le souhaitait le livret bleu, mais pas le Crédit Mutuel.

Mais pour le reste, je suis resté sur ma faim. Burt a pu affirmer tranquillement que le fameux article III-166, sur lequel portait le débat, était protecteur du service public, sans être contredit par personne, ce qui m’étonne.

Aussi je pense qu’avant de proclamer ici la cessation de la construction des colonnes, et d’examiner quelques autres facteurs de décision non liés directement au texte (mais oui, il y en a tout de même quelques uns) il faudrait être le plus précis possible sur ce point : quelles menaces le gravage dans le marbre de la constitution ferait-il peser sur EDF, sur la SNCF, ou sur La Poste ? Quel danger ? Comme beaucoup de Français, je tiens à ces trois entreprises. Je ne parle même pas des missions qu’elles assurent (il va de soi que j’apprécie d’être transporté, de recevoir du courant ou du courrier dans les meilleures conditions), je parle des entreprises elles-mêmes, avec leurs traditions, leur culture, leurs défauts évidemment, leur personnalité d’entreprise. Et qu’elles bénéficient d’un monopole ne me dérange nullement. Pour être parfaitement clair, je doute fortement que la libéralisation des Telecoms, par exemple, m’ait apporté des bienfaits décisifs. J’épluche des tableaux chiffrés d’offres promotionnelles aussi chafouins que les articles de la constitution, je compare des forfaits week-end avec des forfaits soirée (c’est rigoureusement incomparable), je reçois chez moi le soir des appels comminatoires de Neuf telecom me demandant pourquoi je ne les ai pas encore choisis pour tous mes appels du mardi au vendredi vers la région Rhône-Alpes. Et, sans lorgner si peu que ce soit vers le radieux système de la Corée du Nord, je me prends parfois à regretter le temps béni des monopoles. Que l’on me démontre que la constitution mettrait, si peu que ce soit, en péril nos champions nationaux, ou qu’elle accélérerait leur mise en concurrence anarchique, et le non marquera dans ma tête un point décisif.

Sinon, sous les huées de tous les noniens du Blog, il est parfaitement possible que je fasse un pas de plus vers le camp en perdition des ouistes, histoire de vérifier une fois de plus que les chants désespérés sont les chants les plus beaux.


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